Le 8 octobre 2025, Bpifrance Le Lab a publié son rapport Aux armes, dirigeants ? consacré à la place croissante de la défense dans l’économie française. Selon cette étude, 43 % des entreprises non actives dans le secteur souhaitent s’y développer, et 94 % de celles déjà impliquées prévoient d’y renforcer leur présence. Cette dynamique s’inscrit dans un contexte de réarmement inédit, impulsé par la Loi de programmation militaire 2024-2030, qui prévoit 413 milliards d’euros d’investissements, selon le ministère des Armées.
Un virage industriel majeur vers la défense
Cette évolution marque un tournant dans la perception de la défense par le monde économique. Longtemps perçu comme un domaine réservé à quelques grands maîtres d’œuvre, le secteur attire désormais un large éventail de PME, d’ETI et de start-up. Pour Bpifrance Le Lab, cette tendance traduit une convergence entre logique industrielle et logique stratégique.
La croissance des dépenses militaires mondiales, estimées à 2 718 milliards de dollars en 2024 selon le SIPRI, agit comme catalyseur. En Europe, la guerre en Ukraine et la réorganisation des chaînes d’approvisionnement ont renforcé la volonté des États de sécuriser leurs bases technologiques et industrielles. En France, le gouvernement mise sur un modèle de « réarmement économique » : encourager les entreprises à investir dans la défense, non seulement pour répondre à la demande militaire, mais aussi pour soutenir la recherche, l’emploi et l’innovation duale.
Les PME intéressées par le secteur se distinguent par un profil offensif. Selon l’étude, elles présentent des taux de croissance supérieurs de 10 à 20 points à la moyenne nationale et un fort potentiel d’exportation. Ce dynamisme repose notamment sur les technologies émergentes : cybersécurité, intelligence artificielle, propulsion, électronique embarquée ou matériaux composites. Autant de domaines où la défense et l’économie civile se rejoignent désormais.
Des obstacles persistants pour les nouveaux entrants
Malgré l’intérêt croissant des entreprises, intégrer la défense reste un parcours complexe. D’après l’étude de Bpifrance, 73 % des dirigeants extérieurs au secteur évoquent des difficultés à se faire identifier par les donneurs d’ordre. À cela s’ajoutent la complexité des procédures, la longueur des cycles de décision et le poids des certifications. Ces obstacles freinent l’accès des PME et retardent leur montée en puissance dans la chaîne de valeur.
Le financement constitue un autre verrou majeur. Bpifrance estime à 15 milliards d’euros les besoins de financement du secteur d’ici à 2030, dont 5 milliards de fonds propres et 10 milliards de dette. Les dirigeants interrogés pointent aussi la lenteur des paiements et la rareté des dispositifs de couverture des risques spécifiques à la défense. En dépit de ces contraintes, la stabilité des commandes publiques et la visibilité budgétaire à long terme continuent d’attirer de nouveaux acteurs.
« Les entreprises qui veulent pénétrer le marché de la défense sont plus innovantes, plus exportatrices et plus résilientes », souligne le rapport. Pour ces dirigeants, la défense n’est plus un domaine marginal, mais un pilier stratégique de diversification et de pérennité.
Un écosystème en mutation soutenu par la puissance publique
Pour accompagner cette transition, l’État et Bpifrance multiplient les outils d’appui. Le fonds Bpifrance Défense, doté de 450 millions d’euros, investira dans les sociétés non cotées opérant dans la cybersécurité, les systèmes autonomes et les technologies spatiales. Selon Le Monde, il s’agit du premier fonds souverain dédié spécifiquement à la défense depuis la création du Fonds stratégique d’investissement en 2008.
S’y ajoutent le Prêt DEF’FI, destiné à financer les projets de modernisation, et le programme Accélérateur Défense, conçu pour renforcer les capacités industrielles des PME et leur mise en réseau avec les grands donneurs d’ordre. La Caisse des Dépôts plaide également pour le développement de clusters régionaux, afin de consolider les compétences locales et d’améliorer la coordination entre industriels et collectivités.
Sur le terrain, cette stratégie commence à porter ses fruits. À Bourges, à Saint-Nazaire ou à Istres, des entreprises du secteur de la défense ont doublé leurs effectifs depuis deux ans, selon Le Monde. Le mouvement pourrait s’amplifier avec la montée en cadence prévue par la LPM 2024-2030, qui vise à renforcer les capacités dans les domaines du renseignement, de la dissuasion et de la défense aérienne.
Une opportunité économique autant que stratégique
L’étude du Lab Bpifrance confirme que la défense devient un levier de compétitivité nationale. En soutenant la montée en gamme technologique et en stimulant la recherche, elle contribue à redessiner le paysage économique français. L’objectif affiché est clair : faire de la défense non seulement un outil de souveraineté, mais aussi un moteur durable de croissance et d’innovation.
À l’heure où la frontière entre sécurité et économie s’estompe, les entreprises françaises s’arment d’une nouvelle ambition : conquérir un marché exigeant, mais porteur d’avenir. La défense, longtemps perçue comme un bastion fermé, devient ainsi un espace d’opportunités économiques et industrielles majeures.
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre Newsletter gratuite pour des articles captivants, du contenu exclusif et les dernières actualités.