Recrutement dans la défense : un secteur stratégique qui peine à séduire

Un marché de l’emploi sous tension dans la défense française et européenne

Depuis quatre ans, le recrutement dans la défense connaît une intensification sans précédent. Selon l’étude PageGroup menée en septembre 2025 auprès de 1 165 répondants, la hausse de plus de 30 % des dépenses militaires européennes entre 2021 et 2024 a provoqué une véritable ruée sur les talents techniques. La France, qui concentre 43 % des offres d’emploi du secteur en Europe, reste en première ligne.

Les besoins sont immenses : ingénieurs systèmes embarqués, spécialistes en cybersécurité, techniciens de maintenance, experts en IA et en data. Mais le vivier de candidats ne suit pas. « Le marché du recrutement dans la défense est aujourd’hui aussi tendu que celui de la pharma en sortie de crise Covid », résume Caroline Bernadat, Senior Director chez Page Personnel. Face à cette pénurie, les entreprises relèvent les salaires, débauchent dans d’autres secteurs, et multiplient les campagnes d’attractivité.

Des métiers stratégiques, mais un déficit d’image persistant

Malgré un chiffre d’affaires annuel de 30 milliards d’euros et plus de 4 000 PME dont 1 000 jugées stratégiques, la filière peine à séduire les jeunes diplômés. D’après PageGroup, 20 % des candidats affirment qu’aucun argument ne pourrait les convaincre d’y travailler. Les motivations restantes se répartissent entre la rémunération (47 %), l’intérêt pour les innovations (20 %) et les perspectives de carrière (13 %).

Le manque de sens demeure un frein central au recrutement : la défense reste perçue comme un secteur fermé, voire clivant, loin des aspirations sociétales des nouvelles générations. Les femmes, en particulier, privilégient les filières de l’énergie, de l’aéronautique ou du pharmaceutique, accentuant le déséquilibre de genre. « Les meilleurs profils techniques choisissent leurs employeurs », souligne encore Caroline Bernadat, évoquant un marché où les talents mènent désormais la danse.

Entre ambitions étatiques et réalité des vocations

Côté institutionnel, le ministère des Armées affiche des ambitions colossales. L’objectif de 40 000 recrutements civils et militaires en 2024 s’ajoute à celui de porter le nombre de réservistes à 80 000 d’ici 2030, contre 45 000 actuellement. Ces chiffres illustrent un volontarisme politique inédit.

Mais la réalité du terrain nuance cette dynamique : si 12 000 nouvelles candidatures ont été reçues dès le premier trimestre 2025, l’exécutif fait face à une véritable « crise de croissance ». Retards de paiement atteignant 71 jours, pénurie de logements, manque d’équipements et tensions entre réservistes et militaires d’active freinent la montée en puissance de cette main-d’œuvre hybride.

Un écosystème concurrentiel où la fidélisation devient stratégique

Les tensions sont d’autant plus fortes que 84 % des ingénieurs du secteur déclarent être engagés dans plusieurs processus de recrutement simultanés, et 64 % se disent sollicités au moins une fois par mois par des recruteurs. Ce climat de concurrence généralisée renforce la volatilité des profils techniques et met la fidélisation au cœur des stratégies RH.

Les entreprises misent désormais sur la formation interne et les passerelles entre sous-traitants et donneurs d’ordre. « Avoir travaillé dans la défense est une véritable plus-value sur le marché de l’emploi », rappelle Caroline Bernadat, soulignant qu’au-delà des contraintes, l’expérience acquise dans ce domaine reste un gage d’excellence. Reste à savoir si cette promesse de valeur suffira à convaincre une génération en quête de sens et de flexibilité.

Un défi structurel : repenser l’attractivité pour préparer la relève

Derrière cette crise de recrutement, c’est l’ensemble de la chaîne de compétences qui se fragilise. Le manque d’enseignants dans les filières d’ingénierie militaire, l’insuffisance de passerelles entre formation civile et secteur défense, ou encore la méconnaissance des opportunités offertes par les programmes industriels nationaux — tels que SCAF, MGCS ou Hydrogène Défense — freinent l’émergence de nouvelles vocations. Plusieurs industriels, dont Dassault Aviation et Safran, alertent sur la nécessité de réinvestir dans les écoles et de créer des parcours à double diplôme associant technologies critiques et ingénierie de souveraineté.

En parallèle, le gouvernement envisage d’élargir les dispositifs de communication auprès des étudiants et des jeunes actifs, avec des campagnes de recrutement ciblées sur la cybersécurité, la robotique et l’intelligence artificielle militaire. L’objectif : donner une image plus moderne et inclusive du secteur, afin de transformer une industrie perçue comme fermée en véritable levier d’innovation et d’emploi durable.

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