Alors que l’Assemblée nationale avait adopté à l’unanimité une proposition de loi « élevant Alfred Dreyfus au rang de général de brigade » le 2 juin 2025, le texte est désormais examiné au Sénat, parachevant un long processus de réhabilitation amorcé plus d’un siècle après l’affaire qui déchira la France. En choisissant d’honorer Dreyfus, les parlementaires veulent réparer la dernière injustice faite à l’officier juif, injustement condamné en 1894 pour trahison, avant d’être totalement réhabilité en 1906.
Un acte de réparation, 130 ans plus tard
Plus d’un siècle après le verdict du 22 décembre 1894, le nom d’Alfred Dreyfus revient dans l’hémicycle. Selon le dossier législatif de l’Assemblée nationale, la proposition de loi n° 1380 déposée le 7 mai 2025 par Gabriel Attal vise à « élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade ». Pour le Premier ministre, ce texte traduit un devoir moral : « La Nation française élève, à titre posthume, Alfred Dreyfus au grade de général de brigade », stipule l’article unique du projet.
La mesure se veut avant tout symbolique : il s’agit d’achever la réparation morale d’un homme que la République avait trahi avant de le reconnaître comme innocent. L’Assemblée nationale, réunie le 2 juin 2025, avait approuvé le texte à l’unanimité des 197 députés présents, saluant « un acte de réparation ». Ce consensus rare, qui dépasse les clivages partisans, souligne l’importance mémorielle de Dreyfus dans l’histoire nationale.
Cependant, cette élévation n’a pas qu’une dimension historique : elle renvoie aussi à une mémoire institutionnelle. En 1906, après sa réhabilitation judiciaire, Dreyfus avait retrouvé son grade de commandant mais n’avait jamais obtenu la reconstitution complète de sa carrière militaire. La promotion au rang de général de brigade, 130 ans plus tard, vient donc combler ce vide.
Un parcours d’honneur et de déshonneur, puis de justice
Pour comprendre la portée du geste, il faut revenir sur le parcours d’Alfred Dreyfus. Né à Mulhouse en 1859, capitaine d’artillerie formé à Polytechnique, Dreyfus est accusé en 1894 d’espionnage au profit de l’Allemagne. Le 22 décembre 1894, il est condamné pour intelligence avec une puissance étrangère, dégradé publiquement et déporté à l’île du Diable, rappelle CNEWS. Le procès, fondé sur un dossier vide et marqué par l’antisémitisme, déclenche l’une des plus grandes crises politiques et morales de la IIIᵉ République.
Réhabilité douze ans plus tard, le 12 juillet 1906, Dreyfus retrouve son rang et reçoit la Légion d’honneur. Mais la justice militaire ne reconnaît jamais pleinement la carrière qu’il aurait dû avoir sans cette condamnation. Sa promotion posthume vise donc à corriger une lacune de l’institution elle-même. Comme le rappelait Le Monde, l’Assemblée nationale a voulu « rétablir la dignité d’un officier dont la loyauté n’a jamais failli ».
Ce projet de loi est soutenu par l’ensemble du spectre politique, mais aussi par les associations mémorielles et les descendants de Dreyfus. Ces derniers saluent un geste « d’apaisement et de fidélité aux valeurs républicaines ».
Un geste politique, entre mémoire et prudence institutionnelle
Si le Parlement s’accorde sur la portée morale du texte, certains élus s’interrogent sur la dimension politique de cette réhabilitation posthume. Plusieurs voix, notamment au Sénat, s’inquiètent du risque d’une « instrumentalisation mémorielle ».
Le Gouvernement avait engagé une procédure accélérée le 13 mai 2025. Ce choix traduit la volonté d’aboutir rapidement, mais suscite aussi des interrogations sur l’empressement politique. Toutefois, le consensus reste solide : la quasi-totalité des groupes parlementaires ont exprimé leur soutien, à l’image du député Renaissance Jean-Louis Bourlanges, pour qui « la mémoire républicaine n’est jamais close ».
Dans les rangs militaires, la décision est également saluée. Le grade de général de brigade est perçu comme la reconnaissance ultime pour un officier dont la loyauté fut mise en doute à tort. Le symbole est fort : il fait d’un ancien condamné le représentant de l’honneur retrouvé de l’institution militaire.
Ce geste s’inscrit enfin dans un mouvement plus large de relecture de la mémoire républicaine : après la panthéonisation de Missak Manouchian, l’État poursuit un travail de réconciliation avec son histoire. Pour les historiens, Dreyfus incarne à la fois la victime et le vecteur d’un progrès moral. En le hissant au grade de général de brigade, la République rend justice à l’homme et honore l’idéal qu’il a défendu.
Un symbole républicain au-delà de la mémoire
La portée de cette réhabilitation dépasse le simple hommage. Pour nombre d’observateurs, elle réaffirme la force du lien entre l’armée et la République, ébranlé en 1894 puis restauré par la vérité.
Le Sénat, chargé d’examiner le texte à l’automne, devrait l’adopter sans difficulté. Le groupe socialiste, le groupe centriste et les Républicains ont déjà annoncé leur intention de voter en faveur. Public Sénat note que la commission des affaires étrangères et de la défense soutient pleinement la mesure. Le texte deviendrait alors loi avant la fin de 2025, inscrivant dans le marbre la reconnaissance nationale d’un homme injustement condamné.
La promotion d’Alfred Dreyfus au grade de général de brigade n’est donc pas un simple hommage. Elle consacre la fidélité à une vérité historique et à une exigence morale que la République doit à elle-même. Plus d’un siècle après le fracas de l’Affaire, le nom de Dreyfus rejoint ainsi, à part entière, le panthéon des serviteurs de la France.
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