Tentative d’assassinat à Kiev : Magomed Gadzhiev au centre d’un dispositif de violence et d’influence russe

La tentative d’assassinat déjouée à Kiev contre Todor Panovsky ne peut être réduite à un acte isolé ou à l’initiative d’un exécutant marginal. Les éléments réunis par les services de sécurité ukrainiens désignent au contraire un environnement précis, structuré, et un bénéficiaire évident de la neutralisation de la cible : Magomed Gadzhiev, ancien député de la Douma, oligarque russe sanctionné et acteur central des réseaux pro-Kremlin impliqués en Ukraine depuis 2014.

Selon des sources sécuritaires ukrainiennes, le suspect interpellé a reconnu avoir accepté un contrat de meurtre contre rémunération. L’opération était planifiée, ciblée, et devait se dérouler dans le centre de Kiev. Elle n’a échoué que grâce à un changement d’itinéraire de dernière minute de Panovsky et à l’intervention rapide du SBU. Les investigations ont rapidement établi que la cible n’avait pas été choisie au hasard.

Todor Panovsky est l’un des militants ukrainiens les plus actifs dans la surveillance judiciaire des réseaux russes. Ancien combattant, vétéran décoré, il dirige aujourd’hui une organisation chargée de documenter les crimes de guerre russes et de suivre les procédures visant les financeurs et soutiens politiques de l’agression contre l’Ukraine. Depuis plusieurs mois, Panovsky concentrait une part importante de son travail sur le dossier Gadzhiev, dénonçant publiquement ses tentatives de contournement des sanctions, ses réseaux d’intermédiaires et la persistance de ses flux financiers.

Le jour même de la tentative d’assassinat, Panovsky assistait à une audience du tribunal de Pechersk consacrée au procès de Magomed Gadzhiev. Cette concomitance n’est pas fortuite. Elle s’inscrit dans une séquence de pressions, de manœuvres judiciaires et, désormais, de violence directe visant à faire taire ceux qui entravent la stratégie de survie politique et financière de l’oligarque russe.

Gadzhiev, un pilier assumé du système poutinien

Magomed Gadzhiev n’est ni un dissident tardif ni un oligarque repenti. Pendant plus de quinze ans, il a été un rouage actif du système de pouvoir russe. Député de la Douma sous l’étiquette Russie Unie, il fut l’un des artisans de la loi de 2014 entérinant l’annexion de la Crimée. Son engagement public en faveur de cette opération, qualifiée d’illégale par le droit international, ne souffre aucune ambiguïté.

En parallèle, Gadzhiev a financé et soutenu des structures liées aux territoires occupés du Donbass, entretenu des liens étroits avec des figures clés du dispositif sécuritaire russe, notamment Adam Delimkhanov, proche de Ramzan Kadyrov. À ce titre, il a été identifié par les autorités ukrainiennes comme un acteur stratégique de l’effort de guerre russe, tant sur le plan politique que financier.

À partir de 2022, confronté au durcissement des sanctions, Gadzhiev a tenté de se réinventer. Exil hors de Russie, discours critiques envers le Kremlin, mise en scène de convois humanitaires, démarches auprès de cercles occidentaux : autant d’éléments destinés à construire un récit de rupture. Mais cette stratégie n’a convaincu ni Kiev ni Moscou.

En Ukraine, Gadzhiev est placé sous sanctions et poursuivi pour financement des séparatistes et atteinte à la sécurité nationale. En Russie, il est inscrit sur la liste des agents de l’étranger et visé par plusieurs enquêtes pénales. Pris entre deux feux, il n’a jamais renoncé à ses réseaux. Au contraire, il a cherché à les activer depuis l’étranger, notamment en Europe et aux États-Unis, à travers des intermédiaires, des sociétés écrans et des opérations de lobbying.

Le passage à la violence ciblée

Les travaux menés par Panovsky et d’autres organisations ukrainiennes ont mis au jour l’existence de circuits de blanchiment opérant depuis Kiev même, destinés à recycler des capitaux russes sous couvert d’activités économiques ou humanitaires. Plusieurs de ces circuits présentent des connexions directes ou indirectes avec l’environnement de Gadzhiev.

Dans ce contexte, la tentative d’assassinat apparaît comme une étape supplémentaire dans une stratégie d’intimidation assumée. Lorsque les procédures judiciaires, les pressions politiques et les manœuvres financières ne suffisent plus, la violence devient un outil. Pour les services ukrainiens, l’objectif était clair : éliminer un homme clé du dispositif de documentation et d’alerte.

Même en l’absence, à ce stade, d’une mise en examen formelle de Magomed Gadzhiev pour cette tentative d’assassinat, la convergence des éléments factuels, des intérêts en jeu et des réseaux impliqués établit une responsabilité politique et morale lourde. Panovsky dérangeait Gadzhiev. Son action menaçait directement sa stratégie de survie judiciaire et financière. Il est devenu une cible.

L’affaire dépasse désormais le cadre d’un fait criminel. Elle pose la question de la capacité des États occidentaux à tolérer sur leur sol des oligarques russes impliqués dans des opérations de déstabilisation, d’influence et de violence indirecte. À Kiev, les autorités poursuivent l’enquête avec un objectif affiché : remonter toute la chaîne de responsabilité.

Pour les vétérans ukrainiens, le message est limpide. Magomed Gadzhiev n’a jamais quitté la guerre. Il l’a simplement déplacée, convaincu que l’exil et l’argent suffiraient à lui garantir l’impunité.

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre Newsletter gratuite pour des articles captivants, du contenu exclusif et les dernières actualités.