Dark : l’échec d’un acteur clé du New Space de défense français

Une ambition stratégique : sécuriser l’espace par la dissuasion active

Fondée en 2021 par Guillaume Orvain et Clyde Laheyne, ingénieurs issus de MBDA, Dark visait à combler un vide stratégique : la capacité d’interception orbitale active. Dans un contexte de militarisation rapide de l’espace, la start-up voulait doter la France d’outils de réaction face à des menaces telles que les satellites-espions ou les débris non coopératifs.

Son projet phare, Interceptor, reposait sur un concept audacieux : un véhicule spatial compact, propulsé et manœuvrable, lancé depuis un avion porteur, capable d’intercepter, de repousser ou de désorbiter un objet hostile. Conçu pour la basse orbite (LEO), Interceptor combinait une propulsion hybride à micro-poussée, des capteurs optiques embarqués et une IA de navigation autonome. Techniquement, il s’agissait d’un intercepteur non destructif, pouvant exercer une poussée douce sur sa cible via un bras mécanique ou un impact contrôlé.

En 2024, Dark avait été sélectionnée par l’Agence de l’innovation de défense (AID) dans le cadre du programme Salazar, centré sur les scénarios d’interception en orbite. L’entreprise collaborait également avec le CNES sur la simulation de débris spatiaux et la gestion du trafic orbital. En parallèle, elle développait un banc d’essais à Bordeaux-Mérignac, à proximité du tissu aéronautique civil et militaire. Ce positionnement dual – entre innovation privée et besoins souverains – faisait de Dark un acteur central de la future dissuasion spatiale française.

Des technologies avancées, mais un modèle économique sous-orbital

Sur le plan technologique, les démonstrateurs de Dark étaient prometteurs. L’Interceptor, d’une capacité de 300 kg en orbite basse, devait pouvoir être largué depuis un Falcon 50 modifié. Son système de guidage, dérivé d’algorithmes de visée optique militaire, permettait un rendez-vous orbital précis sans recours à des explosions ou collisions. L’objectif : une neutralisation réversible, conforme aux traités internationaux interdisant les armes spatiales létales.

Cependant, les progrès techniques n’ont pas suffi à assurer la survie financière de l’entreprise. En quatre ans, Dark avait levé environ 11 millions de dollars, dont 5 millions en amorçage et 6 millions d’euros en extension. Insuffisant pour franchir le cap industriel, faute de commandes publiques fermes. L’équipe évoquait un « manque d’ancrage institutionnel » dans son communiqué de clôture : « Continuer sans ancrage aurait signifié transformer Dark en un modèle fragile dépendant d’un seul client. »

Cette faillite illustre le manque de doctrine française en matière de défense orbitale privée. Là où les États-Unis ont permis à des sociétés comme True Anomaly ou Astroscale US d’intégrer leurs capacités dans l’architecture militaire du Space Command, la France reste centrée sur un modèle public, freiné par des processus d’achat longs et peu adaptés à l’innovation rapide. Le constat dressé par Dark elle-même résume cette impasse : « Notre ambition était d’ancrer une capacité privée… Pourtant, les bases nécessaires n’ont jamais vu le jour en France. »

Une perte capacitaire pour la défense spatiale française

La disparition de Dark ne se limite pas à un échec entrepreneurial. Elle représente une perte stratégique dans la construction d’une filière de défense spatiale agile. L’entreprise travaillait sur des briques technologiques inédites – rendez-vous orbital automatisé, navigation relative, capture douce – qui auraient pu renforcer la capacité de réaction du Commandement de l’espace (CDE) en cas de menace sur les satellites militaires.

En s’éteignant, Dark laisse derrière elle une expertise précieuse et un réseau d’ingénieurs spécialisés dans la Space Situational Awareness (SSA). Mais elle révèle surtout les limites d’un modèle français encore trop cloisonné entre la recherche, les grands industriels (Airbus, Thales Alenia Space) et les start-up. Pour les forces spatiales françaises, la perte de Dark signifie l’abandon d’un jalon vers une autonomie d’action rapide en orbite, à un moment où la compétition internationale s’intensifie. Sans relais industriel ou cadre contractuel pérenne, même les projets stratégiques demeurent sans orbite.

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