L’oxyde de néodyme-praséodyme (NdPr), cœur des aimants permanents et membre de la famille des terres rares, a bondi d’environ 63 à 88 dollars/kg en Chine, un plus haut de plus de deux ans, après l’arrêt des envois d’un producteur américain vers la Chine. Dans le même mouvement, Pékin resserre ses règles de contrôle et l’Union européenne mesure sa vulnérabilité en importations.
Les armées comprennent vite l’enjeu : quelques grammes d’aimants suffisent à retarder un rétrofit ou à contraindre une cadence. Selon Reuters, l’arrêt des expéditions a retiré 7 à 9 % des oxydes alimentant les usines chinoises, ce qui a « laissé un grand vide » pour les fabricants d’aimants, commente l’analyste Ryan Castilloux. Cette succession de signaux dessine un rapport de force structuré par les terres rares et par la souveraineté énergétique qu’elles sous-tendent.
Terres rares, puissance militaire et Chine : la chaîne de valeur comme instrument stratégique
La première clé, pour un site spécialisé défense, tient dans la géographie industrielle des terres rares. La Chine concentre environ 90 % des capacités mondiales de raffinage et près de 70 % de la production minière ; dès lors, elle contrôle le passage obligé entre le minerai et l’aimant. Cette position permet de moduler volumes, licences et prix, donc d’influer directement sur la disponibilité de composants militaires critiques. La dernière poussée du NdPr – environ 40 % de hausse en quelques semaines – fait suite à la réorientation d’un flux américain vers le marché intérieur, elle-même adossée à des financements publics. Pour l’Union européenne, grande cliente en importations, cette mécanique se traduit par un risque-prix élevé sur les sous-systèmes de propulsion, d’actionnement et d’optronique.
Deuxième clé, la régulation chinoise. Depuis quelques jours, Pékin a durci les règles encadrant l’extraction, la transformation et le commerce des terres rares, en centralisant davantage les permis, en étendant le périmètre des contrôles et en resserrant l’octroi de licences. Officiellement, l’objectif est de « mieux protéger la sécurité nationale » et de renforcer les standards environnementaux ; politiquement, le signal est clair : la Chine peut, à tout moment, micro-régler le robinet des intrants énergétiques et militaires du reste du monde. L’Union européenne, qui achète l’essentiel de ses terres rares à l’étranger, voit donc sa marge de manœuvre réduite par des décisions prises hors de son territoire.
Énergie, défense et importations : un triangle qui expose l’Union européenne
La dépendance européenne se lit aussi dans les chiffres. En 2024, selon des données Eurostat relayées fin août, l’UE a importé 5 984 tonnes de terres rares depuis la Chine, 3 676 t depuis la Russie et 2 579 t depuis la Malaisie. Ce triptyque concentre l’essentiel des flux, avec des conséquences immédiates dès que les coûts s’emballent. Dans l’énergie, les aimants permanents pilotent les générateurs d’éoliennes et les entraînements d’usines ; dans la défense, ils dotent radars, commandes de vol, servitudes de bord et missiles d’une compacité inégalée. Lorsque Pékin modifie ses licences ou que les prix de NdPr s’envolent, les feuilles de route d’électrification, les calendriers de MCO et les budgets d’équipement doivent être ajustés dans l’urgence.
À ce panorama s’ajoute la pression américaine. Le 25 août, Donald Trump a brandi une menace de droits de douane de 200 % si les aimants ne sont pas livrés. Dans le même temps, Washington a officialisé des soutiens massifs à la filière : environ 400 M$ pour MP Materials, des contrats d’achat garantis et un prix plancher pour sécuriser la montée en puissance « mine-au-magnet ». « Il nous faut un projet Manhattan pour les terres rares », a résumé Joshua Ballard, directeur général d’USA Rare Earth. Or ces incitations peuvent drainer des volumes non chinois vers les États-Unis, renchérir la matière et compliquer les importations européennes à court terme, y compris pour des besoins militaires.
L’Europe et la France face au test de souveraineté : sécuriser, recycler, décider
Les flux récents confirment la nervosité du système. En juillet 2025, les exportations chinoises d’aimants en terres rares ont atteint un plus haut de six mois, à 5 577 tonnes, soit près de +75 % sur un mois ; vers les États-Unis, les volumes ont bondi à 619 tonnes, +75,5 % sur un mois. Cette plasticité prouve la capacité de la Chine à rouvrir ou restreindre les vannes très vite, selon ses priorités diplomatiques et industrielles.
Pour l’Union européenne, qui cherche à sécuriser ses importations, cela implique des filets de sécurité : contrats d’offtake, clauses de priorisation pour les usages de défense et, surtout, stocks opérationnels de NdPr, Dy, SmCo et d’aimants qualifiés. Plusieurs responsables européens plaident d’ailleurs pour des réserves stratégiques de terres rares, à l’image des stocks pétroliers.
Reste la question française. Il existe des indices de terres rares en métropole, mais pas d’exploitation minière active aujourd’hui ; l’arbitrage politique privilégie l’acceptabilité environnementale et la montée d’une filière de recyclage. En pratique, l’option la plus avancée consiste à recycler des aimants et à raffiner des concentrés pour réduire la dépendance à la Chine, tout en maîtrisant l’empreinte écologique.
À l’échelle européenne, l’objectif est clair : diversifier les importations, développer la séparation et l’aimantation sur le sol de l’UE, et éviter qu’une matière dépasse 65 % de dépendance vis-à-vis d’un seul pays tiers. Mais la réalité demeure têtue : un an après les grandes annonces sur la compétitivité, l’UE reste « dangereusement dépendante » des importations chinoises de terres rares, comme le rappelle Euronews. La mise en cohérence entre défense, énergie et industrie devient donc la priorité stratégique.
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