Que signifie le terme « Grande Armée » ?
Ce terme est forgé au moment de la campagne de 1805, lorsque Napoléon 1er quitte le camp de Boulogne pour marcher sur Vienne, en Autriche. Au sens strict, ce qualificatif désigne une armée commandée par l’empereur. Dans un sens un plus générique, il réfère aux différentes armées françaises du temps de Napoléon. Plusieurs Grandes Armées se sont en effet succédées. Celle de 1805 enchaîne les campagnes jusqu’en 1808. Une deuxième est ensuite mise sur pied quand l’empereur décide de prendre la tête du corps expéditionnaire en Espagne. D’autres suivront jusqu’à l’ultime bataille de Waterloo.
Quelles étaient les personnes qui la composaient ?
Tout d’abord, je tiens à rappeler que la conscription avait été instaurée en 17981. La Grande Armée rassemblait donc l’ensemble des couches sociales de la population. Les classes populaires surtout mais aussi l’ancienne aristocratie. Dès sa prise de pouvoir en 1799, l’empereur avait en effet initié une politique de réconciliation. De nombreux Emigrés, alors en fuite à l’étranger après la Révolution française, sont ainsi revenus pour intégrer la Grande Armée, notamment le corps des officiers.
Au niveau des nationalités, l’armée napoléonienne accueille dans un premier temps une immense majorité de Français, malgré la présence de certains étrangers comme les fameux mamelouks de la Garde impériale. Elle devient toutefois beaucoup plus hétérogène au fil des conquêtes et accueille notamment des Italiens, des Polonais, des Allemands, quelques Grecs, et même des Autrichiens et des Prussiens lors de la campagne de Russie en 1812. Plus de la moitié de la Grande Armée est alors composée de soldats issus de territoires hors des frontières actuelles de la France.
Qu’est-ce qui faisait la force de cette Grande Armée ?
Il faut savoir qu’elle bénéficie directement des débats théoriques et structurels ayant eu lieu au XVIIIesiècle. La Grande Armée naît au moment où ces discussions sont mises en œuvres dans un système cohérent sur le plan organisationnel. Conséquence immédiate : l’arrivée de l’échelon divisionnaire et de l’échelon du corps d’armée. Ce dernier, apte à faire campagne de façon autonome, devient un facteur de supériorité important plus ou moins copié par la suite par les autres belligérants. La Grande Armée hérite aussi des progrès en termes d’administration de la guerre, avec une logistique beaucoup plus efficace et réactive. C’est inédit à l’époque et l’empereur y est pour beaucoup.
On entend souvent parler d’une « armée de marcheurs ». Pourquoi ?
Déjà à l’époque, une expression parcourait les rangs de la Grande Armée. Il se dit alors que l’empereur gagne les batailles avec les jambes de son infanterie. L’une des spécificités de l’art napoléonien de la guerre est en effet la recherche de la bataille décisive. Cela implique de surprendre l’adversaire via une accélération fulgurante dans les derniers instants. En moyenne, la Grande Armée marche près de 25 kilomètres par jour. Un chiffre qui peut monter jusqu’à 55 kilomètres lors de l’approche finale. Objectif : arriver au contact le plus vite possible ou tout simplement prendre une position avantageuse avant l’ennemi. Cette tactique de la marche forcée a par exemple forgé la victoire d’Austerlitz5 avec l’arrivée de 8 000 hommes du maréchal Davout.
Hormis son talent tactique, Napoléon comptait beaucoup sur le renseignement pour arriver à ses fins. Qu’en est-il exactement ?
A l’époque, il était bien évidemment impossible d’évaluer précisément l’heure d’arrivée d’une armée adverse. L’empereur envoyait donc systématiquement, en amont, des petites unités de cavalerie légère. But recherché : suivre la progression de l’ennemie, anticiper ses déplacements et obtenir du renseignement. Toujours avant les combats, la population civile, souvent détentrice d’informations utiles, était interrogée. Après la bataille, ce sont les prisonniers qui faisaient les frais de sa politique d’interrogatoire, qu’il menait parfois personnellement.
Plus globalement, Napoléon Bonaparte comptait aussi sur ses espions, à l’image de Charles Louis Schulmeister. Ce Prussien à la solde du Premier empire aurait ainsi joué un rôle prépondérant dans la reddition d’Ulm4, le 20 octobre 1805. Son audace l’a même poussé à participer à un conseil de guerre en présence de l’empereur d’Autriche ! Si l’espionnage n’est pas une nouveauté, son utilisation à des fins militaires est en revanche plus innovante.
Existe-il aujourd’hui un héritage de cette Grande Armée, même minime ?
Cette héritage est loin d’être minime, bien au contraire. La période napoléonienne est vraiment un moment fondateur dans la modernisation de l’armée française. Même aujourd’hui, les grades des généraux restent strictement calés sur l’organisation de la Grande Armée. Autre lègue direct : tout ce qui relève de l’administration et de l’organisation des lignes arrières, à l’image des soins médicaux au plus près du front. Quant aux traditions militaires actuelles, une grande partie est issue du Premier empire. C’est même quasi systématique pour l’armée de Terre6. De façon plus générale, toutes les armées européennes se sont inspirées, d’une façon ou d’une autre, de la Grande Armée au cours du XIXe siècle.
A lire : Walter Bruyère-Ostells, Les maréchaux d’Empire, Editions Perrin, 2021.
1 La loi Jourdan-Delbrel du 5 septembre 1798 concerne tous les Français âgés de 20 à 25 ans.
2 Notamment après la dissolution du Saint Empire romain germanique en 1806.
3 Suite à la résurrection du grand-duché de Varsovie en 1807.
4 Plus de 30 000 hommes, 60 canons et 40 drapeaux de l’armée d’Autriche tombent aux mains des Français.
5 Ce 2 décembre 1805, Napoléon a su manœuvrer habilement pour battre successivement les deux corps austro-russes.
6 L’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr a été fondée par Napoléon, alors Premier consul, en 1802.