Réindustrialisation et base industrielle de défense : un impératif stratégique pour la France

Dans un contexte où les menaces se multiplient — en mer, dans les airs et dans le cyberespace — la réindustrialisation apparaît comme un enjeu majeur pour la sécurité nationale. L’effort pour redynamiser l’industrie française se heurte toutefois à de lourds retards structurels, en particulier dans l’industrie de la défense. Les ambitions sont fortes, mais les capacités sont contraintes.

L’enjeu militaire de la réindustrialisation

La défense entre désormais au cœur de la politique industrielle de la France. Le ministère des Armées rappelle que la BITD et la réindustrialisation sont des leviers « majeurs de reconquête de souveraineté ». Le baromètre industriel officiel signale que, au premier semestre 2025, sur neuf ouvertures nettes de sites industriels en France, huit concernent l’industrie de la défense, dont 40 % dans l’aéronautique militaire.

Pourtant, l’effort est loin d’être achevé. Une étude publiée par le SCET indique que la BITD française fonctionne déjà à 91 % de taux d’utilisation, contre une moyenne industrielle manufacturière à 81 %. Cela signifie qu’augmenter encore la cadence de production — pour répondre à des ambitions européennes ou OTAN — requiert investissements et adaptation rapides. De plus, le même rapport alerte sur la fragilité financière des entreprises de la BITD avant la crise ukrainienne. Dans ce cadre, la réindustrialisation prend la forme d’un impératif pour la défense nationale.

Contraintes et retards structurels

Un obstacle clé à la réindustrialisation réside dans la mobilisation des capitaux. Le gouvernement a annoncé un fonds de 450 millions d’euros via Bpifrance pour financer la BITD, appuyé par des engagements publics à hauteur de 1,7 milliard d’euros pouvant mobiliser jusqu’à 5 milliards avec les fonds privés. Cette démarche démontre la reconnaissance de l’enjeu financier mais aussi l’ampleur de la tâche : beaucoup reste à faire.

Autre frein : la structuration territoriale et la montée en compétences. L’étude SCET prévoit entre 570 000 et 800 000 emplois supplémentaires d’ici 2035 dans l’industrie, mais suggère que la France ne dispose ni des capacités de formation ni de l’attractivité territoriale pour absorber cette charge. Le lien entre réindustrialisation et défense impose donc une remise à plat de la chaîne complète : conception, production, maintenance, formation. Sans cette articulation, la souveraineté industrielle demeure partielle.

Les opportunités stratégiques à saisir

Sur le plan stratégique, la convergence entre réindustrialisation et renforcement des forces armées ouvre des perspectives. Au-delà de la production de matériels classiques, la France met l’accent sur la double orientation vers l’innovation et la souveraineté technologique. En alignant le programme de réindustrialisation avec celui de la défense, l’État entend structurer un modèle où chaque euro investi contribue à la fois à l’emploi industriel, à la valeur ajoutée nationale et à la capacité de dissuasion.

En pratique, l’ouverture de nouvelles installations industrielles, notamment dans l’aéronautique militaire, confirme cette orientation. Le fait que parmi les sites ouverts au premier semestre 2025, l’industrie de la défense figure en bonne place, montre que la transformation est en œuvre. Cette dynamique est d’autant plus importante que la France figure parmi les grands exportateurs d’armement et vise à maintenir cette position, tout en renforçant sa base nationale.

Quel chemin vers une réelle autonomie stratégique ?

Pour que la réindustrialisation serve pleinement la défense, plusieurs conditions doivent être remplies. D’abord, les ressources financières doivent être pérennes et mobilisées à l’échelle de la BITD, pas seulement par filière. Ensuite, la politique industrielle doit être intimement liée à la politique de défense : la planification des capacités, la montée en cadence de production, la maintenance et la chaîne logistique doivent être envisagées comme un tout stratégique.

Enfin, la dimension européenne ne peut être ignorée. L’interopérabilité et les coopérations industrielles feront partie de la clé d’une défense crédible. La France préfère, avec raison, une base nationale robuste, mais le tableau stratégique la contraint à s’intégrer dans un horizon plus large.

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