Une plainte qui interroge directement l’usage de forces locales pour protéger les infrastructures
Le dépôt, le 17 novembre 2025, d’une plainte pénale contre TotalEnergies pour complicité de crimes de guerre replace au premier plan la question cruciale du recours à des forces armées locales autour des infrastructures stratégiques. Le projet Mozambique LNG, dans lequel le groupe détient 26,5 %, est implanté dans la province de Cabo Delgado, théâtre d’une insurrection djihadiste d’ampleur. Pour sécuriser ce site évalué à près de 20 milliards de dollars – environ 18,5 milliards d’euros –, TotalEnergies s’est appuyé sur une unité dédiée : la Joint Task Force (JTF), créée en 2020 par un accord avec l’État mozambicain. Hébergement, rations, équipements, primes : l’entreprise reconnaît avoir apporté un soutien logistique substantiel à cette JTF, au cœur de la controverse actuelle.
La sous-traitance sécuritaire auprès d’acteurs étatiques fragiles crée une zone grise difficile à maîtriser. Les ONG accusent la JTF d’avoir arrêté des civils entre juillet et septembre 2021, de les avoir enfermés dans des conteneurs métalliques, maltraités, et pour certains exécutés ou portés disparus. Si ces faits sont confirmés, ils redessinent les frontières entre soutien sécuritaire légitime et exposition au risque pénal international. Pour un opérateur industriel, la question devient opérationnelle : comment encadrer l’action de forces partenaires sans se retrouver juridiquement comptable de leurs dérives ?
Une mise en cause qui pourrait redéfinir les protocoles de sécurisation des grands projets
L’affaire TotalEnergies marque un tournant pour la sécurisation des projets énergétiques déployés en environnement instable. Les rapports internes cités dans la plainte évoquant dès 2020 des risques élevés d’abus commis par des forces locales interrogent l’efficacité des mécanismes de suivi et de contrôle de la chaîne sécuritaire. Pour les industriels, le modèle traditionnel – financement de forces locales, construction de bases, primes de déploiement – apparaît désormais insuffisant face au niveau d’exigence informationnelle et éthique attendu par les régulateurs, les investisseurs et les tribunaux.
Dans un contexte global où les infrastructures énergétiques sont des cibles privilégiées pour les groupes armés, l’enjeu est double : conserver la liberté d’opérer tout en se protégeant du risque d’être considéré comme facilitateur d’exactions. L’affaire Mozambique LNG, par son ampleur et ses conséquences potentielles, ouvre la voie à un renforcement des chartes sécuritaires, à une codification plus stricte des partenariats militaires locaux et à une montée en puissance de la traçabilité des actions menées par les forces déployées autour des sites industriels.
Une défense offensive centrée sur la dénégation et la coopération institutionnelle
Face à la plainte, TotalEnergies maintient une ligne de défense ferme. Le groupe assure « n’avoir eu aucunement connaissance des événements dont il est question » et rappelle avoir sollicité lui-même une enquête officielle en 2024 après les révélations médiatiques. Le procureur général du Mozambique a ouvert une enquête pénale en mars 2025, parallèlement à une procédure initiée par la Commission nationale des droits humains. Pour TotalEnergies, ces démarches démontrent sa volonté de transparence et sa distance avec les agissements de la JTF.
La stratégie de défense de TotalEnergies vise à démontrer une absence de « connaissance », pivot juridique de la complicité en droit pénal international. Si la justice estime que le groupe ne disposait pas d’informations suffisantes pour anticiper ou empêcher les abus, il pourrait échapper aux poursuites. En revanche, si les signaux d’alerte figurant dans certains rapports internes sont jugés probants, le procès deviendrait un précédent majeur dans la pénalisation des partenariats sécuritaires industriels. Dans les deux cas, le secteur surveille l’affaire : une clarification jurisprudentielle influencerait durablement les standards opérationnels.
Un dossier aux implications industrielles, financières et géopolitiques considérables
Mozambique LNG n’est pas un projet marginal : il s’agit d’un pilier de la stratégie gazière de TotalEnergies, avec une valeur décisive pour les équilibres énergétiques européens et asiatiques. Les financiers sont également concernés : plus de trente banques publiques et privées sont associées au projet. À cela s’ajoute un impact climatique prévisionnel de plusieurs milliards de tonnes de CO₂ équivalent sur la durée de vie du complexe, transformant ce dossier en « bombe carbone » selon les ONG.
Une fragilisation juridique du projet pourrait forcer le groupe à revoir ses modalités sécuritaires dans d’autres pays, renforcer ses dispositifs de vigilance, voire renégocier certains accords avec des gouvernements partenaires. L’affaire offre aussi une perspective : celle d’une demande accrue pour des services sécuritaires externalisés, certifiés, contrôlés et conformes aux normes internationales. Dans un monde où les infrastructures énergétiques sont de plus en plus exposées aux menaces hybrides, l’affaire TotalEnergies pourrait accélérer l’évolution d’un marché déjà sous tension stratégique.
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